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27 avril 2008 7 27 /04 /avril /2008 18:32

On peut très bien vivre sans connaître Benjamin Péret. Il est aussi très possible de couler des jours heureux en ignorant l'Histoire. Tout dépend des exigences de liberté que l'on a. Les miennes sont importantes et j'ai eu la chance que l'on me fasse découvrir Péret. Comment le décrire sans refaire l'article encyclopédique ? Comme me l'a présenté Frédéric la première fois que nous l'avons évoqué ensemble : un poète du vingtième siècle, un surréaliste, mais pas le plus connu, un être engagé qui pense que l'on doit faire réellement la Révolution, un homme qui ne se renia jamais et ne perdit jamais ses idéaux sans toutefois que son œuvre ne tombe dans le prosélytisme. Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire, c'est pour ça que Frédéric l'avait choisi comme sujet de thèse universitaire. Insidieusement, il est devenu mon compagnon de solitude et voilà pourquoi ses mots sont venus à moi avant les miens, quand j'ai commencé la rédaction de ce journal intime.

Ah !... Enfin .... pouvoir transcrire sur papier mes joies, mes peines, mes états d'âmes... Exercice souvent réservé aux ados (je n'ai plus tout à fait l'âge), aux filles (suis-je vraiment un homme ?), aux névrosés (là il n'y a aucun doute, je réponds aux critères de sélection !).

Je m'autorise finalement ce que mon père m'a toujours interdit. J'aurais pu enfreindre mais il m'avait déjà surpris, il y a une dizaine d'années, à m'adonner à ce petit travail de catharsis et le résultat avait été terrible. Une humiliation épouvantable, pire que de se faire surprendre par sa mère en train de se branler discrètement dans sa chambre. Enfin je suppose, car je n'ai jamais connu ma mère.

Comme de coutume mon père avait su trouver les mots qui blessent, ceux qui font mouche et qui bien longtemps après, instillent encore un puissant venin. Je les entends encore : "tu n'as pas honte de gribouiller des âneries pareilles comme ces tapettes qui font des écritures de gonzesses...". La suite était du même tonneau. Il avait dû pendant mon absence fouiller dans les tiroirs de mon bureau et se plonger dans la prose de ce collégien de troisième que j'étais, mal dans sa peau, à la recherche de sa véritable personnalité et sans aide morale d'un proche pour partager ses tourments. Cet épisode m'avait fait définitivement comprendre (je pense en fait que je le savais déjà depuis longtemps) que ce ne serait pas avec mon père que je pourrais essayer de m'épanouir et de régler mes problèmes pour m'envoler léger vers l'âge adulte.

Le cahier, malmené, froissé, brandi comme des écrits hérétiques sous l'Inquisition, finit déchiré sous mes yeux. Ce fut ma première et dernière expérience de journal intime. J'entame dix ans plus tard ma seconde : il était temps encore un peu et il n'était plus question de journal mais de mémoires.... Quelle bonne idée il a eue là mon père, de mourir !

 

Voilà donc qu'avec ce contre temps parental, j'ai pris beaucoup de retard dans la rédaction de ma vie quotidienne et pour retrouver moi-même le fil conducteur, j'aime autant reprendre depuis le début c'est à dire commencer par ma naissance.

Pour l'état civil je suis Camille Eggimann, né à Bagnols sur Cèze dans le Gard, le 26 mai 1980, de sexe masculin. Voilà en gros ce que l'on peut lire sur ma carte d'identité ou sur tout autre papier officiel mais ça ne donne pas beaucoup d'éléments concrets pour me décrire. Il est à noter que dès ma naissance, mon père ayant eu la bonne idée de m'affubler d'un prénom mixte, l'ambiguïté sur le caractère masculin ou féminin de ma personne était déjà là. Attention, le choix du nom de baptême n'a eu aucune incidence sur ma personnalité même si cette hypothèse, comme bien d'autres d'ailleurs, a dû faire réfléchir mon père plus d'une fois. L'explication est beaucoup plus simple : Dame Nature en se baissant sur mon berceau n'a pas dû être assez généreuse avec moi en testostérones. Toutes les autres théories plus ou moins farfelues sur l'homosexualité sont dans le meilleur des cas risibles, au pire dangereuses. Comble de malchance pour moi, en plus d'arriver « pédé » sur cette terre, cas de figure qui n'est pas le plus facile à vivre, mon apparition a eu pour conséquence de précipiter la disparition de ma mère. En effet, la grossesse a été un élément déclenchant ou accélérateur (je ne sais pas vraiment car je n'ai jamais bien connu les détails de cet épisode douloureux) d'une maladie incurable qui a emporté ma mère quelques semaines seulement après ma naissance.

On peut rêver mieux comme atterrissage ! Et je n'ai pas encore tout dit ! Je n'ai donc aucun souvenir de ma mère. La famille de ma génitrice ayant coupé les ponts avec mon père, je n'ai pas non plus d'ascendance maternelle dans la génération du dessus. Dans ce contexte, difficile de se créer une identité, des racines ou tout simplement une histoire individuelle. Je n'ai pour m'accrocher un peu à cette mère que quelques photos assez rares, en couleurs mais sans éclat particulier. Même si elle n'est pas morte en couches pour moi, c'est tout comme. Quand un film décrit une scène de naissance dans l'ancien temps, il est fréquent d'entendre celle qui joue le rôle de l'accoucheuse demander de mettre de l'eau à bouillir et de préparer des serviettes. J'ai souvent vu ce genre de séquences, peut-être bien que j'y fais plus attention qu'à d'autres mais aussi parce que les réalisateurs aiment beaucoup présenter ainsi cette situation. Je n'ai jamais vraiment compris à quoi pouvaient servir ces linges et ce liquide aseptisé mais s'y associent toujours chez moi des images de tortures avec cris, douleurs et vapeurs de fumée. De toute façon, même dans l'époque d'aujourd'hui, je n'ai jamais assisté à un accouchement, mais pour mon imaginaire, ça relève plus du tuage du cochon que de la sortie poétique de la rose ou du chou. Si je m'amuse un jour à tenir ce genre de propos dans le cabinet d'un psy ou d'un thérapeute quelconque, il faut s'attendre à ce qu'il me dise que j'ai été traumatisé par le décès de ma mère. Pas besoin d'avoir fait de longues études pour le comprendre ; même le rebouteux de la rue d'à côté pourrait faire ce diagnostic.

En dehors de quelques nounous, toutes affectueuses (mais on ne remplace pas facilement une maman), je n'ai eu comme vis à vis que mon père, lui-même solitaire. Pour une pièce de théâtre avec deux comédiens seulement, c'est une situation idéale pour des numéros d'acteurs : un huis clos angoissant, une atmosphère lourde, des situations pesantes. Tous les ingrédients pour faire un succès dans un établissement subventionné. Dans la vie réelle : pièce à oublier. D'autant qu'un des deux acteurs ayant une personnalité beaucoup plus forte, l'autre du coup se retrouvait étouffé, éteint, écrasé, soumis, anéanti.

Dire que je l'ai souvent entendu éructer qu'à cause du décès de ma mère il avait été trop gentil avec moi, qu'il m'avait couvé plus que de raison. Heureusement ! Sinon qu'est-ce que ça aurait été ?

Je l'accable, je l'accable, c'est facile maintenant qu'il est mort, mais il me faut être juste. Ce n'était pas un monstre. Je n'ai jamais été battu physiquement, je n'ai jamais manqué de rien matériellement ou de si peu, j'ai pu mener les études que je voulais entreprendre...

Une femme en Afghanistan, un arabe en Israël ou un syndicaliste dans une mairie "Front National" ont moins de marge de manoeuvres que je pouvais en avoir. Toutefois je ne pense pas être excessif en disant que j'ai manqué d'affection pendant mon enfance, de compréhension pendant mon adolescence et de marques d'intérêt dans mes premiers pas hésitants de jeune adulte. C'est ainsi : il me faut faire une croix définitive sur les rêves de garçonnet que j'ai pu illusoirement entretenir pendant des années.

Si j'étais neutre dans cette histoire et que je doive défendre les intérêts de mon père, je pense que je le présenterais comme suit : militaire tendance gendarme, septentrional ascendant alsacien, protestant chapelle luthérienne, divers droite de type RPF première et seconde mouture, veuf tempérament irascible. Avec un tel portrait, on peut aisément s'imaginer les difficultés que nous eûmes à cohabiter au jour le jour. Un bambin sevré d'amour maternel et frustré par la froideur d'un père à peu près aussi affectueux qu'une trousse à outils... L'enfant déstabilisé par la distance relationnelle imposée par l'adulte... L'ado révolté, confronté à l'incompréhension et la rigidité de l'incontesté et incontestable chef de famille... Pour résumer, des problèmes d'une banalité affligeante, certes accentués par le veuvage paternel et l'absence totale d'élément féminin ainsi que par une inflexibilité, conséquence d'une éducation trop stricte, trop formaliste héritée d'une société obsolète dont quelques vestiges demeurent comme les derniers dinosaures à la fin de l'ère secondaire.

Je n'avais ni l'opportunité, ni le loisir d'entrer dans un conflit dur, alors, telle l'anguille, j'évitais soigneusement les écueils et me faufilais entre les galets de la vie. Cependant il me fallait malheureusement de temps en temps accepter l'affrontement. Comme le jeune chien avec le chef de meutes, je feignais le combat pour me faire finalement terrasser par le mâle dominant.

De cette éducation il me reste quelques négatifs comme cette haine du fait religieux (notamment de cette austérité protestante) et de l'armée avec ses cohortes de bidasses enrégimentés.

Après l'avoir cité de mémoire, voilà que je me trouve des points communs avec Benjamin Péret : un amour de la liberté et un dégoût profond pour l'Église et l'Armée, deux institutions qui portent en elles les freins aux élans d'émancipation et de latitude dans l'appréhension de la vie. Un profil de révolutionnaire en somme, en toute modestie.

Dommage que je ne l'ai pas connu à l'époque où j'allais le plus mal, c'est à dire à l'adolescence, ça m'aurait peut-être aidé. A ce moment là j'étais en plein dans ma période rimbaldienne, (un manque d'originalité à coup sûr) mais que faire ? Quand on ne connaît rien d'autre, il faut bien faire comme tout le monde. Et puis passer sa crise avec Arthur, tout compte fait, ce n'est pas si mal. En y réfléchissant bien "le dormeur du val" et "les premières communions" comme torpilles contre l'Armée et l'Église, on a vu pire, non ? Et en cadeau « bonux », avec son petit Rimbault on vous offre le poète Verlaine, leur liaison orageuse, le coup de feu au poignet et "une saison en enfer". Bien sûr, cette histoire d'amour ne me laissait pas indifférent.  Elle me faisait à la fois peur et rêver. Une vraie relation par procuration comme je n'en avais jamais vécu et n'en vivrai peut-être jamais. Des rapports littéraires donc abstraits, très, très loin d'une situation réelle où le corps s'exprimerait pour de vrai. Quelque chose de rassurant finalement.

 

Je n'ai jamais vraiment eu conscience du moment où j'ai eu la révélation de mon homosexualité. Cependant je pense que mon père s'est très vite douté de quelque chose car j'ai toujours ressenti qu'il forçait le trait pour viriliser mon éducation. Le summum de la masculinité dans ma formation fut mon inscription au club local de football et mon obligation à suivre tous les matches à la télé.


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