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22 avril 2008 2 22 /04 /avril /2008 07:05

Je ne peux m'expliquer ce qui m'a empêché de lui rendre son bifton. Pas la malhonnêteté, ça c'est sûr, peut-être le sentiment que je ne pouvais décevoir ce vieux.  De toute façon, il ne fait aucun doute dans mon esprit que d'une façon ou d'une autre, je vais lui rendre son pognon. Il est hors de question que je prenne les billets des vieux qui perdent les pédales et pourquoi pas arracher les sacs à main des mémés tant qu'on y ait ? ! ?

Je le regarde marcher dans la rue. Il est vraiment très vieux et semble trop modeste dans ses manières, ses vêtements et ses paroles pour donner en étrennes des billets de 500 euros à n'importe qui et à n'importe quelle occasion. Je n'en reviens pas. Il s'éloigne et tourne au coin de la rue. Je ne suis pas très sportif mais je pourrais le rejoindre en courant et lui rendre son fric. Je ne sais pas pourquoi je me l'interdis. Je rentre dans la boutique et me jette sur l'annuaire. Il n'y a pas de Gonzalez Ramon à Saint-Saturnin. A la réflexion, je n'ai jamais bien fréquenté le village avant de partir à Montpellier mais son visage ne me dit rien ; ça n'a pas valeur de preuve, je ne connais pas tout le monde ici et ne suis pas des plus physionomistes.

Le calme revenu dans mon bureau je me surprends à fredonner la chanson de Léo Ferré « les anarchistes » : Y'en a pas un sur cent et pourtant ils existent / la plupart espagnols allez savoir pourquoi / Faut croire qu'en Espagne on ne les comprend pas / Les anarchistes...


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Pour une première journée, il s'en sera passé des choses ! Finalement je n'ai pas beaucoup de perspectives, de travail, de plus je suis d'un naturel assez curieux alors pourquoi ne pas en savoir plus sur ce drôle de type qu'est Ramon Gonzalez. Je voulais me lancer dans le métier d'écrivain public pour rencontrer du monde, m'ouvrir aux autres, je crois que c'est réussi. Puisque c'est lui qui veut que je sois détective privé, eh bien menons l'enquête et à moi les aventures !

         Le soir venu, de retour à la maison, je repense à cette curieuse rencontre. Une énigme pour le moment mais qu'il faudra élucider. Soit le vieux est sénile et j'abuse de sa démence à prenant son argent et mon honnêteté m'oblige à le lui rendre. Soit, seconde hypothèse, malgré son âge, il reste encore lucide et, dans ce cas-là, je me dois de l'aider car c'est vers moi qu'il s'est tourné, même si sa démarche volontaire a été, un peu guidée par le hasard. C'est promis, demain matin, je dois me mettre au travail pour avoir des réponses à mes interrogations.


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         Je me suis réveillé avec les mêmes dispositions qu'au coucher. Sitôt au pied du lit, juste le temps de me faire une beauté et me voilà parti à la recherche du vieil espagnol. Je décide d'aller prendre  mon petit déj au café de la Bourse. Je me suis mis dans l'idée que pour retrouver sa trace, un bistrot serait le meilleur endroit. Je n'ai jamais été un pilier de bar mais la Bourse se veut un établissement un peu chicos. Pas un repère pour habitués alcooliques qui n'ont que ce lieu pour lutter contre leur solitude.

En y entrant, c'est la remarque que je me fais. Si la piste du café est correcte, je ne tape pas forcément à la bonne porte car Ramon Gonzalez n'a pas vraiment le profil de la Bourse. En fait, c'est moi qui appréhende d'aller dans un boui-boui de peur de me faire chahuter. Je me rassure en me disant que les garçons de café connaissent beaucoup de gens. A l'heure à laquelle j'arrive, la Bourse est vide. Les gens qui se jettent un noir avant le boulot sont déjà partis et les autres clients viennent plus tard dans la matinée ce qui me laissera plus de loisirs pour cuisiner le garçon.

Je ne sais pas m'y prendre, c'est la première fois. Je ne sais pas ce que le garçon va penser et l'idée me gêne. Finalement, pendant que je bois mon café en mangeant un croissant avec trop de beurre à mon goût j'observe l'employé qui derrière son comptoir vide le lave-vaisselle.

 J'attends le moment propice où il me semblera disponible pour converser un instant. Je me rends compte que le travail de détective ne s'improvise pas et même si on l'a vu faire à la télé, ça reste de la fiction.

Au bout d'un moment, je me sens obligé de reprendre un second jus pour faire durer ma présence. Il finit par prendre le temps d'ouvrir l'Equipe et de la lire sur le comptoir. Si j'avais conservé mes références sportives, je pourrais lui parler du match de la veille ou de celui du lendemain mais l'abandon du sport fait parti pour moi de mes actes d'émancipation. Ca m'aurait pourtant été bien utile dans la circonstance. Heureusement, c'est lui qui m'interpelle sur les malheurs du Real Madrid. L'occasion est trop belle ! On s'échange des banalités, je suis bien incapable d'entrer dans le détail puis au bout d'un moment je lui glisse le nom de Ramon Gonzalez en faisant croire que je le connaissais comme un fidèle supporter. Le garçon, malgré une description précise, ne voit pas de qui il s'agit.

Il finira par m'avouer que le bar des sportifs c'est plutôt, comme son nom l'indique, le bar des sports.

Me voilà embarqué pour un second café. Heureusement que je ne suis pas au cognac ! Les deux bistrots ne sont pas très éloignés l'un de l'autre mais les univers sont très différents. Autant le premier peut se faire passer pour une brasserie, autant le second est plutôt un bistrot à pastis. Plus de garçon de café mais un patron sans uniforme qui boit et fume autant que ses clients. Son bistrot, c'est son élément, il y est comme un poisson dans l'eau. Du coup l'ambiance est moins feutrée.

Toujours aussi peu de monde en ce début de matinée, on est encore loin de l'heure de l'apéro. La télé marche assez fort et le patron, sans me connaître le moins du monde, me commente les informations. On peut parler, à juste raison, de propos de café du commerce. Les affaires politiques, les faits divers, la météo, tout est prétexte à dire des « conneries » dont le patron semble coutumier et qui doivent faire le bonheur de sa clientèle. On dirait qu'il se prête à un véritable « one-man-show ». J'aurais du mal à lui donner la réplique mais il s'auto-alimente sans que j'ai à faire les transitions.

Péniblement, j'arriverai à l'amener à Ramon Gonzalez..., après avoir réfléchi il finit par me dire qu'il pense savoir qui c'est mais qu'il est plutôt un habitué du P.M.U. J'en suis à mon quatrième café, je dois avoir une haleine de chacal.

Me voilà parti pour le P.M.U., et comme le temps a passé, je vais finir par arriver pour l'heure de l'apéro. Les deux établissements sont rapprochés : Saint-Saturnin est trop gros pour être un village mais encore trop petit pour se prendre pour une ville. Il n'y a que le maire pour croire ou laisser croire à une importance dans le secteur.

 A mon entrée dans le bar, je ressens déjà un autre climat que dans les deux précédents débits de boisson. La télé géante crache sa course de canassons dans une espèce d'indifférence relative. Les hommes au comptoir ont les yeux sur leur bière et les oreilles à la conversation avec leur voisin avec, cependant, à intervalles réguliers, un léger mouvement d'épaules vers l'écran. Personne ne semble faire attention à mon arrivée. Pour faire couleur locale et m'enlever le goût du moka, je commande un panaché. J'ai l'impression par cette boisson de me fondre dans l'ambiance. Les chevaux passent la ligne d'arrivée, un gars au bout du comptoir en « chambre » un autre qui ne s'en afflige pas.

 Je voudrais bien faire semblant de m'intéresser à la course mais mes connaissances en la matière sont nulles. Il me serait même impossible de dire comment on joue au tiercé ! Sans accroche pour entamer une conversation, je suis là en observateur sans trouver la faille.

Le déclic se produit au bout d'une quinzaine de minutes, quand je reconnais une des personnes présentes dans le bistrot. C'est un ancien gendarme qui travaillait avec mon père et qui est retraité, depuis au moins dix ans. Il ne m'a pas reconnu mais moi, depuis mon entrée au P.M.U., il me semblait que son visage ne m'était pas étranger. Je m'avance vers lui.


« - Vous ne me remettez pas ?  

  - Non pas du tout, t'es qui ?  

-  Je suis le fils du gendarme Eggimann. 

- Oh là là, je ne t'aurais pas reconnu ! Je suis désolé pour toi. Je suis venu aux obsèques de ton père mais à l'instant je ne pensais pas à toi ».


         Une conversation s'engage. Le retraité est content de discuter. On me ressert un panaché. Après les banalités d'usage, je finis par en venir à Gonzalez. Sans entrer dans les détails, ni sur mes activités, ni sur le motif de ma recherche, je lui glisse que j'étais entré dans le bar pour le retrouver. De peur d'éveiller les soupçons, j'invente une histoire de portefeuille perdu. En même temps que je la raconte, je me rends compte qu'elle ne tient pas debout et qu'en bon fils de flic, si j'en avais réellement trouvé un, je l'aurais porté sans tarder à la gendarmerie. A mon grand étonnement pourtant, le subterfuge fonctionne. L'ancien militaire me dit que j'ai bien fait de venir ici car il est là tous les jours mais il se reprend aussitôt en se faisant remarquer à lui-même que finalement, à la réflexion, cela fait plusieurs jours qu'on ne l'a pas vu. Il s'interrompt pour apostropher un homme au comptoir :


«  Le vieux Gonzalez, tu l'as pas vu aujourd'hui ? »


L'autre lui répond que Gonzalez n'est pas très en forme ces derniers temps,  qu'il vient moins au café  mais qu'il fait tellement parti des meubles que l'on ne s'en est pas encore rendu compte.

Le visage de mon interlocuteur s'illumine comme si l'homme auquel il s'était adressé lui avait tenu des propos philosophiques d'une clarté révélatrice. Il me confirme les dires de l'homme accoudé au zinc. Il finit, sans que je lui demande, par m'expliquer qui est Ramon Gonzalez.


« Depuis que je suis à Saint-Saturnin et surtout depuis que je suis veuf, je viens régulièrement ici. Il faut bien passer le temps. Le vieux Gonzalez, je l'ai toujours vu ici. Lui non plus n'a pas de famille. Quand il travaillait, je te parle d'il y a au moins vingt ou trente ans, il passait après sa journée ou le week-end seulement mais depuis qu'il est en retraite, il passe pas mal de temps dans ce bistrot. Il joue beaucoup. Pas des grosses sommes mais ce n'est pas non plus le genre de type qui joue un tiercé de temps à autre notamment quand il y a le prix d'Amérique. Non, lui c'est un joueur régulier comme pas mal de types ici. Il doit y passer une bonne partie de sa pension. Moi, je joue un peu pour m'amuser mais ça n'a rien à voir avec lui. En fait, hormis le fait qu'il soit communiste, c'est un brave gars. Moi, les cocos, tu sais, comme ton père, je les aime pas trop, mais lui c'est pas pareil, il n'est pas méchant. »

Notre conversation n'est guère allée plus loin. L'ancien gendarme m'a donné l'adresse approximative de Gonzalez pour que je puisse lui rendre son portefeuille. J'ai fait semblant d'avoir apprécié sa compagnie et pris la direction de la sortie du P.M.U. en me disant que je ne la ferai pas tous les jours, la tournée des bistrots ! Mais dans le cas présent, il n'y avait guère d'autres possibilité pour mener mon enquête. Je suis retourné ensuite à mon local.


Avant d'aller le trouver chez lui, je réfléchis à qui pourrait me donner d'autres informations plus précises. Si comme le dit le vieux gendarme c'est un coco, j'ai l'homme qu'il me faut. Le communiste le plus en vue, ici à Saint-Saturnin, c'est un certain Jean-Marc Vader. Une figure locale, élu au conseil municipal depuis des lustres, opposant historique au maire en place, syndicaliste C.G.T. (comme il se doit), un des rédacteurs d'un petit journal politique qui tire sur tout ce qui bouge à boulets... rouges !

On le voit à peu près tous les samedis matin sur le marché hebdomadaire qui distribue des tracts ou fait la causette en langue d'oc. C'est par cet aspect que je le connais un peu car, amoureux de l'occitan, j'ai toujours eu une oreille attentive à essayer de percevoir des paroles dans cette langue.

 Sans tomber dans la folklorisation de type Alphonse Daudet, je dois bien convenir que les discours marxistes de Jean-Marc Vader assaisonnés à la sauce provençale lui donnent une truculence que déjà son aspect physique avec, notamment, sa barbe grisonnante, pouvait lui offrir.


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commentaires

J
Bonne idée de faire que le héros apprenne le métier de détective en meme temps que le lecteur.
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S
<br /> Merci pour le compliment, on transmet à l'auteur.<br /> <br /> <br />

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