Dire que c'est la première fois que je me servais d'une arme à feu. Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'avais peur d'aller là-bas.
Cet après-midi le fils Montbrun m'a fait des menaces, il y a quelques jours je me suis fait casser la gueule et puis j'avais un pressentiment. L'idée de prendre une arme de la collection de mon père m'avait effleuré à Barcelone mais je l'avais rapidement évacuée.
Ce soir elle s'est un peu imposée à moi. C'est presque machinalement que j'ai choisi dans le stock, un des plus petits pistolets et, après avoir tâtonné un moment je suis arrivé à trouver les balles qui convenaient à ce pétard et à le charger.
Je ne me serais jamais cru capable de faire ces gestes, m'en servir encore moins. En plus j'ai touché ma cible. Je tirais de près mais quand même...
Malgré le trajet retour Boulvezon // Saint-Saturnin et ce moment pour revenir sur cet épisode, je n'arrive pas à m'arrêter de trembler.
J'ai blessé ou tué une ou plusieurs personnes. Je suis un meurtrier ! Comble de l'horreur quelle est la pensée qui me vient à l'esprit à cet instant qui devrait être tragique ? Un poème de Benjamin Péret « Portrait de Gala Eluard »
Il y a dans l'air un coup de revolver
tout seul
tant mieux
qui pleure
qui danse
et ainsi de suite
Il y loin bien loin plus loin que tu ne penses
Une palme qui n'est pas dans une palmeraie
Une palmeraie où les animaux s'ennuient
ils t'attendent
Le message me semble clair : je dois partir. Quitter les lieux rapidement si je ne veux pas finir en prison. Il y avait un risque que l'on me retrouve avec l'argent de Gonzalez mais maintenant que j'ai fait couler le sang, ils ne vont pas mettre longtemps à retrouver ma trace.
Fuir, je ne vois pas d'autre alternative. Je ne peux demeurer ici car dans peu de temps je serai considéré comme un assassin. Le mobile coulera de source : m'approprier l'argent du vieil Espagnol. Comment justifier cette grosse somme d'argent en ma possession ? Pourquoi avoir fait feu chez les Montbrun ?
Tout m'accable, les apparences me désignent escroc, voleur et criminel. Tous ces forfaits réalisés bien sûr avec préméditation et un sang-froid digne des plus grands voyous.
Je ne pourrai organiser ma défense et je prendrai le maximum. J'ai peur de la prison. Je ne supporterai pas cette vie. Je pense au poème « lo presonièr » de Bellaud de la Bellaudière, encore un écrivain qui n'est connu que par quelques trop rares initiés à la littérature occitane.
Comme dans le sonnet, j'aimerai que les murs de ma cellule soient de cire, de beurre et de sel pour que mes larmes les fassent fondre mais je sais bien qu'il n'en sera rien alors je dois me résigner à filer au plus tôt.
Après quelques longues minutes de réflexion, la destination s'impose d'elle-même. Je resterai fidèle à Frédéric Grindel à travers Benjamin Péret en me rendant au Mexique. C'est dans ce pays que le poète surréaliste avait fuit la guerre en 1941, qu'il y avait épousé Remedios Varo et publié le « déshonneur des poètes ». Plus tard dans les dernières années de sa vie, il traduisit « le livre de Chilam Balam de Chumayel », les écrits sacrés du peuple Maya.
Mexico est une des plus grandes villes du monde, je pense pouvoir y passer plus inaperçu qu'ailleurs. Peut-être irai-je jusque dans des provinces plus reculées comme le Chiapas ou le Yucatán ?
Une évasion sans moyen tourne vite court mais, même « si je ne mange pas de ce pain-là », avec le magot de Gonzalez, j'ai de quoi voir venir et m'organiser un certain temps. Ils ne m'ont pas laissé d'autre choix que de me faire mienne la cagnotte qui devient une chance pour moi de réussir mon escapade.
Ne plus perdre de temps pour organiser mon départ. Vite sur Internet voir les vols pour Mexico. Pour quitter Saint-Saturnin, je prendrai tout d'abord ma voiture que j'abandonnerai dans un endroit un peu éloigné d'une gare pour masquer ma fuite. Le train m'amènera ensuite jusqu'à à l'avion. Une fois au Mexique, je devrai chercher à me trouver une nouvelle identité. N'ayant aucun contact avec le milieu ou la pègre, il me sera difficile de me procurer des faux papiers sans prendre de risques mais comment faire différemment ?
Choisir les effets que je peux prendre dans mes bagages. Ni trop, ni trop peu : il n'y aura pas de voyage retour. Surtout dissimuler les billets pour ne pas être intercepté dans les fouilles douanières. Le change « pesos // euros » doit bien être possible mais là encore la nouveauté de ce genre d'opérations va me créer bien du stress.
La vie d'un fugitif est angoissante, j'en fais le constat mais ce sort est préférable à celui de détenu.
En finir avec les atermoiements, les doutes, les interrogations, ne plus se poser de questions et tenter une belle vers une nouvelle vie. Après tout, si je n'avais des remords suite aux coups de feu, cette perspective de nouveau départ pourrait être une chance extraordinaire bien qu'improvisée. L'avenir me le dira. Je croise seulement les doigts pour que ma cavale ne se termine pas rapidement entre deux gendarmes dans les heures à venir...
Avant de fermer définitivement l'ancien pavillon de mon père, je jette un dernier coup d'œil aux aventures de Tante Marie-Sybille. J'imprime son dernier texte pour le lire pendant le voyage. J'ai aussi prévu de redécouvrir « Meurtre au Comité central » de Manuel Vasquez Montalban et « Mort aux vaches et au champ d'honneur » de Benjamin Péret...
« La vengeance du serpent à plumes »
Amis fidèles c'est avec émotion que je vous informe que je vous envoie ma dernière lettre. Ne soyez pas trop triste, on se retrouvera peut-être mais j'ai besoin de vacances, de très très longs congés.
En fait de pause, il serait plutôt question de nouveau départ. C'en est fini de la Tante Marie-Sybille. Marre de jouer les matrones, avec mon physique de petit gros emprunté, il me faut redevenir le jeune apollon de mes dix-huit ans. Pas de miracle pour y arriver, un changement radical est indispensable et pour cela rien de tel qu'un grand voyage dépaysant.
Oublier ma vie d'ici, ma caricature devenue pesante, mes relations et mon environnement. Impossible de tirer un trait définitif si ce n'est qu'en quittant la place de façon définitive.
Mais voilà que j'en oublie d'être drôle ! Les habitués de mes chroniques vont être déçus mais le clown n'a plus envie de rire. Rassurez-vous j'ai encore quelques vannes en stock.
Choisir sa destination. C'est en regardant le film avec Coluche que j'ai pris la décision d'aller découvrir la Province du Yucatán ! Vous voyez je ne suis pas encore devenue snob ! Cependant le beau site de Chichen Itza et ses pyramides aztèques, avouez que ça a de la gueule. En me renseignant j'ai su que l'avènement d'une nouvelle humanité n'avait été rendu possible que par le sacrifice volontaire de Quetzalcóalt, plus connu sous le nom de serpent à plumes, enfin pour ceux qui ont vu le film ou qui connaissent les civilisations précolombiennes. Attention pour ceux qui penseraient que précolombiennes signifie avant l'apparition du feuilleton « Inspecteur Colombo », je tiens à préciser qu'en réalité il s'agit de l'Histoire du continent américain avant sa découverte par les européens.
J'ai besoin d'un renouveau alors je m'immole symboliquement avec mes plumes et mon boa (comme la grande Zoa) pour tirer un trait sur le passé.
Si je rate mon atterrissage et me casse la gueule dans le nouveau monde, je reviendrai sous les traits de la Tante Marie-Sybille vous faire rire pour ne pas pleurer sur votre sort.
En entendant, opération numéro un pour retrouver mes vingt ans et ma taille de guêpes, j'espère que les Aztèques, « inventeurs » de la tomate auront une cuisine légère pour m'aider à fondre.
Mais je parle, je papote alors que l'heure tourne. Mon avion m'attend. Adieu mes poulettes, vous avez le bonjour du serpent à plumes qui compte bien se venger et un au revoir de cette chère Tante Marie-Sybille...
signé : Marizibill
FIN