Une cérémonie s'est tenue ce 7 mai 2013 à l'initiative de l'association bagnolaise Iberia Cultura et du PCF Gard Rhodanien, elle avait pour but de rendre hommage au Résistant (républicain espagnol) Julien Hernandez mort il y a quarante ans.
Dans sa prise de parole pour Iberia Cultura, Corinne Cancel (Présidente) a rappelé le fait d'armes de Julien Hernandez et a insisté sur la présence espagnole dans la Résistance.
Puis ce fut au tour de Michel Tortey (secrétaire de la section PCF du Gard Rhodanien) de faire aussi un discours (reproduit ci-dessous).
Ensuite deux gerbes ont été déposées, la première au nom d'Iberia Cultura, dépose qui a été suivie de l'écoute de l'hymne de la République espagnole ; la seconde au nom du Parti Communiste, la dépose a été suivie de l'écoute du Chant des Partisans.
On aura remarqué que la cérémonie s'est déroulée en présence de membres de la famille de Julien Hernandez mais aussi de membres de la famille d'André Penchenier le chirurgien qui l'a opéré lors de son amputation, tout comme de membres de la famille de Joseph Arène le fondateur de la clinique Conti.
On aura aussi noté la présence de représentants d'associations d'anciens combattants et de prisonniers de guerre.
Ensuite un pot a été offert à tous les participants par les organisations à l'origine de ce souvenir de la mémoire de Julien Hernandez.
Discours de Michel Tortey :
Le rappel historique que vient de faire Corinne sur la résistance espagnole était nécessaire et, au nom du Parti Communiste du Gard Rhodanien je me félicite que nous ayons pu ensemble commémorer le quarantième anniversaire de l’inauguration de cette rue Julien Hernandez.
Ce travail de mémoire est indispensable surtout 7 décennies après les événements de la seconde guerre mondiale car les témoins de ce temps sont de plus en plus rares. Stéphane Hessel qui était présent à Bagnols l’année dernière nous a quitté il y a peu, tout comme Lucie et Raymond Aubrac, Jean-Pierre Vernant, Maurice Kriegel-Valrimont ou encore Germaine Tillion, toutes et tous décédés récemment.
Or l’Histoire fait l’objet ces temps derniers d’une tentative de manipulation pour ne pas dire de révision par des conservateurs qui veulent lui faire dire des choses qui les arrangent eux. Ainsi l’Histoire ne serait que celle des rois et reines de France, des saints et des papes ! Non messieurs les révisionnistes le résistant Julien Hernandez dont nous saluons la mémoire aujourd’hui est la preuve que l’Histoire est aussi écrite par les peuples et que, dans ce cas là elle est beaucoup plus émancipatrice.
Nous voulions cette manifestation aujourd’hui car comme pour la récriture de l’Histoire il y a aussi des personnes qui veulent empêcher la commémoration de la Résistance telle qu’elle a existé. Ainsi, près de chez nous à Bollène lors des cérémonies du 18 juin dernier la municipalité d’extrême-droite a interdit la diffusion du « chant des partisans » l’hymne de la Résistance. A Pont Saint Esprit lors de la cérémonie du 8 mai le conseiller municipal aux manifestations patriotiques a empêché le dépôt de gerbe de nos camarades du Parti Communiste qui le font traditionnellement depuis des années ce qui se justifie par l’Histoire spiripontaine.
Corinne rappelait à l’instant les événements tragiques du 7 mai 1943, il convient 70 ans après de se souvenir de ce tournant de la guerre. Février 1943 c’est la fin de la bataille tragique de Stalingrad, la première défaite allemande. Quelques semaines auparavant en France le 30 janvier la Milice de triste mémoire est créée. Le 19 avril 1943 les troupes du IIIe Reich pénètrent à l’intérieur du ghetto de Varsovie. Pendant 29 jours une résistance va combattre dans des combats acharnés mais vains. Le 16 mai 1943, 6000 insurgés sont morts dans la bataille, 7000 sont fusillés sur place et le général Stroop peut télégraphier à Berlin : « Il n’y a plus de quartier juif à Varsovie ». Toujours en 1943 le groupe FTP MOI de Missak Manoukian sera démantelé : c’est la célèbre « affiche rouge », un groupe d’étrangers se battant contre le nazisme avec l’arménien Manoukian mais aussi l’espagnol Célestino Alfonso. Tous seront exécutés. Plus près de chez nous les résistants communistes Vincent Faïta et Jean Robert sont guillotinés dans la cour du palais de justice à Nîmes. Et c’est à Nîmes que sont emprisonnés les membres d’un maquis de Lozère commandé par l’espagnol Cristino Garcia qui s’évadera dans une opération spectaculaire.
Ce rappel historique est nécessaire : il rappelle à la fois la barbarie nazie mais aussi l’engagement de la Résistance dans laquelle les étrangers ont pris une part importante.
L’exemple héroïque de ces étrangers doit faire contrepoids à l’intolérance actuelle envers les étrangers que véhiculent certaines personnes aujourd’hui. Un Julien Hernandez se battant pour la démocratie mérite bien plus d’estime et de respect que ceux qui ont trouvé leur compte dans l’occupation allemande voire ont collaboré, il est un exemple pour la jeunesse étrangère actuelle. La citoyenneté française c’est adhérer à un certain nombre de valeurs plus qu’une origine.
1943 : c’était il y a 70 ans une année très importante, tournant dans la guerre, moment de grand sacrifice dans la Résistance. L’épisode tragique qui est arrivé à Julien Hernandez s’est déroulé en 1944 année de la Libération de notre région. Il conviendra l’année prochaine de célébrer dignement les 70 ans de la libération de Bagnols et du Gard Rhodanien. L’occasion de revenir sur ces événements, de se souvenir à Pont Saint Esprit d’Emile Chaulet, d’Elie Couderc, de Raoul Trintignant, d’Edgar Chabrol, de Camille Brunel, d’Emile Marty, de Marthe Espic, d’Abraham Gabbaï, ou à Bagnols de Rose Brunel, de Joseph Arène, de Jean Mercadié, d’André Penchenier, Maurice Aurelle, Henri Warryn, madame Camproux, de Léon Fontaine (fusillé par les Waffen), notre camarade André Sautel né à Bagnols, Georges Vigan-Braquet et ses 600 hommes, le maquis Bir-Hakeim et tous les anonymes que l’Histoire n’a pas retenus.
Mais avant de célébrer 1944, il convient de nous attarder sur une création de 1943, année sombre mais qui commence à entrevoir les premiers rayons de soleil dans cette tempête. Le mois de mai 1943 voit la création du CNR (Conseil National de la Résistance) présidé par Jean Moulin qui disparaitra un mois plus tard tué par Klaus Barbie. Ce programme du CNR qui se construit en pleine guerre sera la ligne suivie à la Libération par le gouvernement provisoire. Nous mesurons encore aujourd’hui tout ce qu’a apporté le programme du CNR dans les avancées sociales de l’après-guerre et qui, depuis des années subit des attaques. Sur le plan démocratique le CNR assure bien sûr le retour à la République et aux libertés d’opinion, d’expression et de la presse. Sur le plan économique des avancées significatives dans une France pourtant exsangue résonnent aujourd’hui d’une actualité brûlante comme
— l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie ;
— une organisation rationnelle de l'économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l'image des Etats fascistes ;
— l'intensification de la production nationale selon les lignes d'un plan arrêté par l'Etat après consultation des représentants de tous les éléments de cette production ;
— le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurances et des grandes banques ;
— le développement et le soutien des coopératives de production, d'achat et de vente, agricoles et artisanales ;
— le droit d'accès dans le cadre de l'entreprise, aux fonctions de direction et d'administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l'économie.
Au niveau social, là encore des progrès majeurs voient le jour tels que :
— le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l'amélioration du régime contractuel du travail
— un rajustement important des salaires et la garantie d'un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d'une vie pleinement humaine
— la garantie du pouvoir d'achat national par une politique tendant à la stabilisation de la monnaie
— la reconstitution dans ses libertés traditionnelles d'un syndicalisme, doté de larges pouvoirs dans l'organisation de la vie économique et sociale ;
— un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'État ;
— la sécurité de l'emploi, la réglementation des conditions d'embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d'atelier ; (...)
— une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours.
Enfin au niveau des droits civiques pour les étrangers le CNR préconise une extension des droits politiques, sociaux, économiques des populations indigènes et coloniales. Rappelons-nous que demain nous célébrons le 8 mai 1945 qui marque la victoire des alliés sur les nazis et donc la fin de la seconde guerre mondiale mais n’oublions pas que ce même 8 mai 1945 eurent lieu les massacres de Sétif et de Guelma en Algérie qui marquent le début du processus de décolonisation.
Nous avons fait de cette commémoration d’aujourd’hui une reconnaissance des étrangers dans la résistance, n’oublions pas de reconnaître la place des étrangers dans notre société actuelle. Le rappel d’une partie du programme du CNR est là pour nous rappeler que, même dans les périodes les plus noires de notre Histoire on peut envisager l’avenir sereinement. La grande Résistante Lucie Aubrac aimait à dire « Résister se conjugue au présent ».
Le pays d’origine de Julien Hernandez, l’Espagne, traverse une grosse crise, à un moindre degré le nôtre est aussi devant de grandes difficultés. C’est vers le programme du CNR avec plus de solidarité, de social, de démocratie qu’il faut chercher des solutions, certainement pas dans l’austérité, la rigueur, le libéralisme. Au cœur de l’Europe nos deux pays sont liés par le même destin, nous nous en sortirons ensemble en appliquant des valeurs de solidarités, d’entraide, de coopération. Les anciens, dans la Résistance avaient su s’unir, ils nous montrent la voie.
En 1943, décidemment date importante Maurice Druon, Joseph Kessel et Ana Marly écrivent les paroles et la musique du « chant des partisans », je me permets avant de l’écouter de vous lire deux couplets de cet hymne de la Résistance :
C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère.
Il y a des pays oû les gens aux creux des lits font des rêves,
Ici, nous vois-tu, nous on marche et nous on tue...nous on crève...
Ici, chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe.
Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place.
Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
Chantez compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute...