Point de vue publié dans l'Humanité du 6 mai 2013
par Richard Dethyre, sociologue (1)
En France, chaque année, des milliards d’euros d’aide sociale ne sont pas réclamés par ceux qui y ont droit. Sans informations, découragés par les démarches, pensant ne pas y avoir droit et victimes d’un discours culpabilisant, les plus dans le besoin n’accèdent pas à leurs droits.
Lourdes conséquences lorsqu’on sait que 38,3 % du revenu des 10 % des ménages les plus pauvres proviennent des prestations sociales. L’ère Sarkozy, le discours sur la fraude aux prestations sociales, a eu pour effet de stigmatiser un peu plus les populations éligibles aux minima sociaux et les chômeurs. En revanche, le non-recours aux prestations sociales n’est pas accompagné de la même attention de la part des services de l’État.
La fraude aux prestations sociales est évaluée à environ 3 milliards d’euros et concernerait 1 % des particuliers, selon la Cour des comptes. 90 % de ces 3 milliards sont récupérés par les services. La Cnaf estime le taux de fraude à 0,46 % pour les prestations familiales, à 1 % des sommes engagées pour le RSA, et à 0,5 % du préjudice subi pour l’assurance maladie.
Il faut comparer ces chiffres à la fraude aux prélèvements sociaux par les entreprises, évaluée entre 8 et 12 milliards d’euros, qui concernerait 10 % des entreprises, et à la fraude fiscale, évaluée entre 25 et 50 milliards d’euros par la Commission européenne. Elle serait six fois supérieure à la fraude aux prestations sociales.
Non, les gens ne font pas tout pour toucher le maximum d’aide : la moitié des personnes éligibles au RSA n’en font pas la demande. C’est le non-recours. C’est 5,3 milliards d’euros de RSA non versés.
En 2010 le non-recours à la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) concernait 1,4 million de ménages, soit 24 %. Et 90 % des ayants droit (souvent sans papiers) ne réclament pas l’aide médicale d’État (AME). Enfin, ce sont 2 milliards d’indemnités de chômage qui ne sont pas versés. Et 4,7 milliards d’euros de prestations CAF.
Autre idée fausse : contrairement à l’idée partagée par 77 % des sondés, qui considèrent que les chômeurs ne font pas tout ce qu’il faut pour retrouver un travail, 64 % des chômeurs interrogés dans huit pays européens déclarent qu’ils veulent retrouver un emploi, même si cela ne leur procure pas un gain financier.
Autre idée reçue : la France ne distribue pas des minima sociaux trop élevés. Elle est dans la moyenne européenne. Le montant des minima sociaux pour une famille de deux enfants s’élève à 72 % du seuil de pauvreté, à 60 % du revenu médian, alors qu’il est en moyenne de 76 % dans l’Union européenne (source OCDE, citée dans la revue Études et résultats de la Dress, n° 464 de février 2006).
Autre mensonge asséné par Laurence Parisot en février dernier : « Plus on est généreux, plus le chômage progresse. » Les chômeurs français sont loin d’être privilégiés. Pour 2008, en volume global de prestations versées aux chômeurs (rapporté à la proportion de chômeurs dans la population active), la France se situe dans la moyenne de l’Europe des 15 et des 27. Huit des pays de l’ex-Union à 15 indemnisent mieux leurs chômeurs que la France.
La guerre engagée de longue date contre les prestations sociales marque des points aujourd’hui chez les victimes elles-mêmes. Reprendre du terrain perdu passe par des campagnes d’information sur les droits, l’accès à ces droits et la dénonciation du manque cruel de moyens de recours.
(1)*Coauteur de l’Envers de la fraude sociale, le scandale du non-recours aux droits sociaux. Éditions la Découverte, 2012.