Réunion du Conseil national du PCF des 5 et 6 septembre 2008
Intervention de Daniel CIRERA, membre du Comité exécutif national, sur la préparation du 34ème congrès
A propos de la base "commune"
Le texte proposé énonce des idées intéressantes. C’est le résultat d’un travail qui sur quelques points actualise notre "fonds" de propositions.
Le problème tient à ce que cette "base" est élaborée à partir d’une grille de lecture unique de la crise existentielle du parti communiste. Elle fixe une seule issue et un choix unique pour l’avenir. Le texte exclut à priori l’enrichissement d’une confrontation avec d’autres analyses et d’autres options d’orientation qui existent, et qui s’expriment depuis longtemps dans le parti. Ce texte ne peut donc constituer une base réellement "commune" (même si en annexe, on juxtapose une présentation "synthétique" d’opinions différentes).
La ligne fixée est clairement identifiée dans la contribution de Marie-George Buffet du 10 juillet. Le PCF, explique-t-elle « doit être positionné comme une force ayant la volonté de mettre en oeuvre par l’exercice du pourvoir et l’intervention populaire un projet identifiable, crédible et moderne de progrès social. Etre le parti incarnant cet objectif, voilà pour moi – soulignait-elle – le chantier de notre congrès ».
La proposition qui nous est faite s’inscrit bien dans cette cohérence. Elle est fondée sur l’affirmation que ce qui a manqué et qui manque fondamentalement au PCF, ce qui est à l’origine de ses "échecs", de son déclin, et donc qu’il faut pour éviter de nouveaux échecs, c’est un projet. Une telle affirmation demande pour le moins à être mise en discussion, et surtout démontrée. Or, tout le texte est construit autour de ce postulat présenté.
A partir du moment où on indique avec la force d’une évidence que le projet est LA solution à nos difficultés, LA réponse aux causes de nos échecs et LA solution pour l’avenir, nous voilà dispensés dès lors de procéder à l’analyse – exigeante et difficile certes - des raisons de l’effondrement soviétique, et du déclin des partis communistes dans la deuxième moitié du XX° siècle. Est ainsi évitée la question pourtant incontournable : « Pour quelles raisons le PCF, qui a été pendant une longue période décisive de la vie du pays une force déterminante, pourquoi en est-il là aujourd’hui ? Pourquoi ses projets successifs – aussi réfléchis et excellents qu’ils aient été - n’ont-ils pas fonctionné ? » Ces questions ne sont pas posées. Le texte se limite à quelques remarques conjoncturelles sur nos positionnements politiques de la dernière décennie, et finalement à mettre l’accent sur les questions "d’image". C’est un choix.
Pourtant, on peut penser aussi que la raison principale, fondamentale de l’échec du « communisme » au XX° siècle, des expériences qui s’en sont réclamé, du déclin des partis communistes, c’est précisément la conception même de la « transformation sociale ». Une conception qui voulait que le changement révolutionnaire ne puisse résulter que de la mise en oeuvre d’un projet élaboré à l’avance, avec pour ambition de construire, avec l’adhésion de la majorité du peuple intervenant avec force, une société nouvelle, un autre monde, dans une perspective « communiste ».
C’est cela qui a échoué. La première expérience durable construite en Russie sur cette conception aboutit au rétablissement du capitalisme après 70 ans de socialisme. Dans les principaux pays occidentaux, qu’en a t-il été des partis communistes créés pour cette « mission » historique ? Et pour ce qui nous concerne ? Comment se sont traduit nos efforts après 1976 avec notre projet de « socialisme à la française » au XXII° Congrès ? Quelle dynamique de transformation en est-il résulté ? Quelle adhésion et quelle intervention populaire ? L’une des caractéristiques des affrontements de classe depuis l’effondrement de l’union soviétique et l’emprise dominante, le "succès" en quelque sorte de la mondialisation capitaliste, c’est que nulle part, maintenant, on n’adhère à un schéma de la « transformation sociale » globale, et réalisée à partir d’un projet globalisant (identifié de fait au « communisme » qui a échoué).
Par contre, l’autre caractéristique de la période longue dans laquelle nous sommes entrés, et elle porteuse d’avenir, c’est que partout – et pas seulement dans les autres continents –, partout se cherchent des voies nouvelles pour le changement, par des luttes, y compris politiques, à partir des contradictions générées par les politiques dominantes, libérales et social-libérales, à partir des crises de légitimité de ces politiques. En saisir les potentiels de transformation, les dynamiques possibles appelle une remise en cause radicale des shémas de pensée sur les conditions des changements révolutionnaires.
Or, le projet que l’on nous soumet aujourd’hui à la discussion, outre qu’il ne propose qu’une perspective unique, s’inscrit dans la continuité par rapport à une conception, une orientation qui ont donné les résultats que l’on sait. Plus encore, non seulement on persiste, mais il y a comme une sorte de fuite en avant. Le titre même du projet donne à réfléchir. Il est significatif : « Vouloir un monde nouveau, le construire au quotidien » - J’avais appelé lors du Conseil national sur l’Europe, à réfléchir à la conception globalisante, qu’induit les formules « changer l’Europe » et à "lalimenter" avec « changer en Europe ». Tout semble partir de fait – avec la force d’une évidence - de ce que NOUS voulons, de ce que NOUS pensons juste, de ce que NOUS projetons de construire, par un exercice du pouvoir et des conditions politiques pour le moins problématiques et une intervention populaire très abstraite. Faute de tirer les conséquences des raisons de ce qui n’a pas marché – pas conjoncturelles, mais fondamentales –, quelle prise peuvent avoir sur la réalité des propositions aussi bonnes soient-elles, et un projet aussi élaboré soit-il ? Pas de faux débat. Bien entendu, il faut des propositions, des idées. Et des idées, on n’en a jamais assez. Encore faut-il s’expliquer sur la conception du changement dans lesquelles elles ’inscrivent.
Si l’on avait pris le parti d’une base réellement « commune », n’aurait-il pas fallu alors, en amont de l’énoncé de ces propositions, faire état des questionnements, expliciter les remises en cause, donner à voir les conceptions différentes sur ce que pourrait être en France, au XXI° siècle, le processus social et politique de dépassement du capitalisme, en relation avec les solutions à apporter dans l’urgence face aux ravages des politiques libérales et aux impasses des choix sociaux-libéraux.
Décidons-nous de rester de fait dans le schéma de transformation sociale qui prévalut au XX° siècle, y compris jusqu’à des formes les plus dogmatiques – en opposition à ce qu’avait pensé Marx, et en tension extrême avec ce qui a fait la force et l’originalité de la gauche en France, avec l’héritage révolutionnaire et le rapport à la République -.
Ou bien reconnaissons-nous dans le mouvement du réel tel qu’il est aujourd’hui, dans les affrontements majeurs d’aujourd’hui, hors des shémas qui ont structuré notre pensée et notre stratégie au XX° siècle, reconnaissons-nous des valeurs qui sont fondamentalement celles de notre engagement communiste, et des potentialités que nous pouvons contribuer à faire grandir. Pouvons-nous aller, dans un effort commun, jusqu’à nous prononcer au nom du communisme, pour qu’on fasse de l’émancipation humaine – individuelle et collective – la condition et le moteur de la transformation de la société. Cela implique, c’est vrai, une rupture avec une conception qui fait de la transformation de la société selon un projet préétabli la condition et le moteur d’une émancipation humaine reportée de fait à la réalisation de ce projet.
Il y a bien un choix entre des conceptions non seulement différentes mais qui s’opposent. De ce choix découlent des conclusions opposées sur le devenir du parti communiste français, son rapport au mouvement social et populaire, son action, ses stratégies de rassemblement dans le peuple et dans la gauche, son organisation, son fonctionnement.
Un Parti communiste porteur des valeurs et de la visée d’émancipation humaine, d’une conception fondamentalement renouvelée de l’action politique pour le changement et la transformation sociale, est forcément différent d’un parti communiste qui limite son ambition à adapter au goût du jour une conception qui reste fondamentalement la même.
Avec quoi faut-il rompre, absolument ? Avec quoi ne faut-il pas rompre pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ? A quels fondamentaux revenir ? Voilà les questions qui sont posées si nous posons comme référence pour notre communisme, l’émancipation humaine.
De ce point de vue, levons les « équivoques ». La « métamorphose » dont je suis partisan, avec je crois beaucoup d’autres, n’est pas de même nature que les « transformations » proposées dans le texte, que je comprends comme une volonté de faire mieux demain ce qu’on voulait déjà faire hier.
Peut-on esquiver ce débat, ou le réduire à un affrontement entre une base dite commune et des textes alternatifs qui figent les différences en tendances ? Poser clairement les termes d’une discussion ouverte, pour construire, ensemble les réponses, voilà ce qui devrait être à l’ordre du jour.
Ce n’est pas ce qui nous est proposé. Pourtant, je tiens à le dire très clairement : il reste encore possible de bâtir une base qui nous soit véritablement "commune". Le Conseil national est souverain.
On peut créer les conditions d’une discussion des questions réellement posées, pour animer un débat réellement pluraliste, et qui ne soit pas limité à l’option exclusive défendue dans le texte. Pourrons-nous arriver à construire ensemble les réponses à des questions d’une telle ampleur, d’ici décembre, compte tenu de la réalité de la préparation ? Poser la question c’est y répondre. Par contre, faisons confiance aux communistes pour construire d’ici là la réponse à la question centrale : dans quel sens et vers quel avenir voulons-nous que s’oriente le PCF ?
Je suis de ceux qui proposent qu’ayant ainsi choisi une orientation fondamentale claire pour l’ avenir, le 34° Congrès décide d’engager un processus pour concrétiser ce choix, y compris en terme d’animation et de direction. Un processus qui permette aux communistes de choisir et de décider en toute connaissance de cause, pour trouver les voies de l’influence et de l’efficacité.
DCirera 5 septembre 2008. dcirera@pcf.fr