Ils se posent en incorruptibles chassant les « élites corrompues».
Mais les juges s’intéressent aux malversations accumulées par le F.N : du père, poursuivi pour non-déclaration d’un pactole de 2,2 millions d’euros, à la fille qui semble exceller dans les financements occultes. Et, une fois de plus, les violences des militants, lors de son rassemblement du 1er mai, rappellent la vraie nature du F.N.
C’est l’histoire d’un petit clan de bourgeois châtelains, riches à millions, qui se présentent comme des « représentants du peuple », incorruptibles en guerre contre tous ces « pourris». « Tête haute et mains propres », répètent en boucle depuis des décennies le fondateur du Front national et son héritière, Mme Le Pen.
Longtemps, les affaires et les scandales financiers ont touché de nombreux dirigeants du PS et du R.P.R, puis de l ’U.M.P : Urba, HLM de Paris, D.S.K, Tapie, Clearstream et, plus récemment, Cahuzac ou Bygmalion. Autant de symptômes de la corruption et de l’affairisme d’une classe dirigeante discréditée qui permettaient au F.N de capitaliser sur cette image de blanche colombe. Une image qui pourrait bien s’effriter… car, depuis 2013, plusieurs affaires concernent directement le F.N, sa présidente et plusieurs de ses proches. À commencer par son père.
Le goût de l’or
Les premières années de l’ascension politique de Jean-Marie Le Pen avaient déjà été émaillées de doutes quant à son patrimoine. Notamment sur l’origine d’une partie de sa fortune, héritée dans des conditions troubles du cimentier Lambert dans les années 1970. En 1981, déjà, l’ouverture d’un compte en Suisse avait mis la lumière sur ses millions, sans qu’on puisse prouver une fraude fiscale. Mais, cette fois, l’étau se resserre depuis l’ouverture d’une enquête par le parquet de Paris, fin 2013. Et, comme Mediapart le révélait le 28 avril, Jean-Marie Le Pen détenait, via son majordome, 2,2 millions d’euros, dont 1,7 million d’euros déposés en lingots d’or, dans un trust géré depuis la Suisse.
D’autant qu’il a omis de faire figurer sur sa déclaration de patrimoine l’achat de lingots à Paris… Un goût pour l’or qui s’explique par sa certitude d’un effondrement prochain de l’euro. Ces non-déclarations devraient lui valoir une nouvelle enquête, qui s’ajouterait à celle sur son patrimoine. Le lien avec Mme Le Pen existe : elle est la secrétaire générale du micro parti Promelec, dont le trésorier n’est autre que… le fameux majordome de son père. Elle n’a pourtant pas hésité à déclarer, le 29 avril, à propos de cette affaire: « Je ne suis au courant de rien, c’est l’affaire personnelle de Jean-Marie Le Pen. » Ou comment se dédouaner en mettant tout sur le dos de « papa ».
Mécanisme bien rodé et kits de campagne
C’est l’affaire la plus importante, car elle concerne tout l’état-major du F.N : un système de financement occulte est peu à peu révélé par l’enquête ouverte en avril 2014, et dont l’« HD » rend régulièrement compte. À l’origine de cette affaire potentiellement explosive pour le F.N puisque Mme Le Pen elle-même pourrait être atteinte, un signalement de la commission des comptes de campagne, début 2014. Les juges d’instruction Aude Buresi et Renaud Van Ruymbeke ont alors ouvert une enquête pour financement illégal, en avril de la même année, portant notamment sur les élections présidentielle et législatives de 2012.
Et le 9 mars dernier, les deux juges ont élargi l’enquête aux faits de financement illégal de parti politique – acceptation par un parti d’un financement provenant d’une personne morale – et financement illégal de campagne électorale. Le mécanisme, bien rodé, est le suivant : Jeanne, un micro-parti fondé en 2010, achète des « kits de campagne » à Riwal, une société de communication dirigée par Frédéric Chatillon, un ancien du groupe identitaire G.U.D (Groupe union/défense) et proche de Mme Le Pen.
Puis, le micro-parti revendait ces kits de façon obligatoire aux candidats du F.N, qui réglaient les factures en contractant un prêt à 6,5 % d’intérêts… octroyé par Jeanne. Et le micro-parti empochait ces intérêts, tandis que les candidats ayant dépassé les 5% des voix intégraient le remboursement du prêt dans leurs comptes de campagne. Et c’est l’État qui payait la note au final ... En 2012, Jeanne avait ainsi collecté près de 9,6 millions d’euros ! Outre Frédéric Chatillon, plusieurs autres proches de M me Le Pen ont été mis en examen, à commencer par Olivier Duguet et Axel Loustau, les trésoriers successifs de Jeanne.
Et, selon Le Monde, la présidente du F.N et deux de ses proches, David Rachline (sénateur et maire de Fréjus) et Nicolas Bay, sont aujourd’hui visés par l’enquête. Fidèle à la tradition de l’extrême droite, Mme Le Pen a dénoncé un complot orchestré par « le pouvoir socialiste (qui) ne manque pas d’imagination face à son opposition politique». Une accusation que va sans doute apprécier Renaud Van Ruymbeke, qui avait enquêté au début des années 1990 sur le financement occulte… du PS, dans l’affaire Urba.
L’Union Européenne, la vache à lait
Il faut croire que la « bureaucratie européenne » dénoncée en permanence par Mme Le Pen a du bon, finalement. « Il faut mettre à bas l’UE ! » proclamait-elle encore en mars 2014. Mais, avant cela, il faut profiter au maximum de l’argent que l’UE met à la disposition des députés européens pour payer leurs collaborateurs, soit 21 000 euros par mois par élu.
Or, sur les 63 assistants parlementaires européens que compte le F.N, une vingtaine occupent des fonctions officielles au siège du parti, à Nanterre, et 31 ont des responsabilités diverses au sein du F.N. En clair, l’argent de l’Europe sert à payer des dirigeants frontistes qui ne travaillent pas sur les sujets examinés par le Parlement européen, ni ne mettent les pieds à Strasbourg. Là encore, Mme Le Pen a dénoncé une « opération politique » lors de l’ouverture de l’enquête pour abus de confiance par le parquet de Paris.
Des maires pas clairs
Sur les 10 mairies conquises par le F.N en 2014 (auxquelles il faut ajouter Béziers, dirigée par Robert Ménard), l’une a vu son élection définitivement annulée et une autre pourrait bientôt l’être. La première, Le Pontet (Vaucluse), pour des problèmes de signature sur les listes d’émargement. La seconde, Hayange (Moselle), est dirigée par Fabien Engelmann – toujours « conseiller social » de Mme Le Pen. Il a été mis en examen pour ses factures de campagne. Ses comptes ont été rejetés par le tribunal de Strasbourg, qui l’a condamné pour manquement aux règles de financement des campagnes électorales. Ayant fait appel, il est toujours maire… pour l’instant.
Reste la question centrale : ces multiples scandales peuvent-ils détourner une partie des électeurs du F.N séduits par le discours anti-corruption de ses dirigeants ? Rien ne permet de l’affirmer, tant le vote F.N semble amalgamer, parfois de façon irrationnelle, de nombreux mécontentements.