Dernièrement, la poussée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages et sur le terrain (meetings pleins à craquer) a poussé certains éditorialistes et surtout plusieurs chercheurs et enseignants en science politique de belle notoriété à se pencher sur le cas du Front de gauche, et plus particulièrement des élections législatives.
J’ai été pour le moins ulcéré de lire quelques grands politologues, en principe spécialistes de ces questions, affirmer que le PCF allait faire exploser le Front de gauche, parce qu’il aurait soi-disant absolument besoin d ’un partage de circonscriptions avec le PS pour permettre la réélection de ses députés sortants.
Mieux encore : d’apr
ès eux, ça a toujours été comme ça !
Alors j’ai voulu remettre les points sur les i : tout ceci est faux.
Le PCF est justement le seul parti à gauche à ne pas avoir besoin d’être investit par le PS au premier tour pour pouvoir envoyer ses candidats au second tour.
Certes, en 1997, des accords de répartitions liaient les différentes composantes de la Gauche plurielle et ont permis au PCF de recevoir le soutien du PS dans un certain nombre de circonscriptions. Mais ça n’était pas le cas avant et ça n’est surtout plus le cas depuis 2002.
Ainsi en 2007, 18 candidats issus du PCF, inclus les apparentés et les dissidents, ont été élus, tous, sans exception, après avoir affronté la concurrence d’un candidat socialiste au premier tour.
J’ai décortiqué ces résultats minutieusement, circonscription par circonscription, à l’aide des résultats officiels fournis par le ministère de l’Intérieur.
Petite leçon d’Histoire des gauches…
Rappelons toutefois qu’un accord historique lie les différents partis de gauche depuis des temps immémoriaux. C’est ce qu’on appelle couramment la « discipline républicaine », c’est-à-dire le désistement en faveur du candidat de gauche le mieux placé au premier tour pour battre la droite au second tour. Ce qui veut dire que si, au terme du premier tour, il s’avère que plusieurs candidats de gauche sont en mesure de se maintenir au second tour, ceux qui ont obtenu les plus faibles nombres de voix renoncent à concourir au second tour et soutiennent celui d’entre eux qui a obtenu le plus de suffrages.
Au départ cet accord de principe liait les différentes sensibilités républicaines face aux candidats monarchistes.
Puis il a été remis au goût du jour par les radicaux et les socialistes sous la Troisième République, avant d’être étendu au Parti communiste aux élections législatives de 1936, dans le cadre du Front populaire.
La Quatrième république ayant appliqué le scrutin de liste, la règle du désistement réciproque à gauche en faveur du mieux placé a été oubliée.
Le retour du mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours en 1958, avec le passage à la Vème République, a donc été pour le moins violent pour la gauche : sur 579 députés, le PCF n’en obtient que 10, avec un score de 19 % des suffrages exprimés au premier tour sur l’ensemble du territoire national, et la SFIO en sauve 40 avec 15,5 % des voix.
La faute à une gauche divisée au second tour, qui abandonne souvent la victoire aux candidats de droite plus disciplinés.
En 1962, les socialistes et les communistes réactivent la règle du désistement républicain avec un succès certain : le PCF passe à 41 députés (21,8 % des voix au premier tour) et la SFIO à 65 (12,5 % des suffrages, elle parvenait donc à gagner des élus alors qu’elle perdait des voix au premier tour).
Cette règle n’a jamais été remise en question depuis lors, comme le prouvent les résultats des élections législatives de 2007, les plus récentes.
NB : les élections législatives ont des règles plus complexes que celles de l’élection présidentielle, bien qu’elles emploient le même mode de scrutin. Ainsi, dans chaque circonscription, si aucun candidat n’a remporté la majorité absolue des suffrages exprimés et un nombre de voix au moins égal à 25 % des suffrages des électeurs inscrits sur les listes électorales dans le périmètre de la circonscription, on organise un second tour de scrutin. Pour accéder au second tour, il faut avoir rassemblé un nombre de suffrages au moins équivalent à 12,5 % du nombre total des électeurs inscrits. Si un seul candidat a remplis cette condition, alors le candidat arrivé après lui en terme de suffrages, quelque soit son score, accède au second tour. Si aucun candidat n’a remplis cette condition, les deux candidats arrivés en tête en nombre de voix accèdent au second tour. Si plus de deux candidats remplissent cette condition, tous peuvent accéder au second tour à moins qu’ils ne décident de se désister. Par exemple, quand trois candidats s’affrontent dans un second tour, on parle de « triangulaire ». Tous les chiffres indiqués ci-dessous concernent les suffrages exprimés, c’est-à-dire déduits de l’abstention et des votes blancs et nuls, sauf mention contraire dans les explications.
Place aux faits !
Voici les résultats du premier tour dans les 18 circonscription dans lesquelle le PCF et ses apprentés ont été élus au terme des législatives de 2007.
Quatrième circonscription de l’Aisne
Brigitte Thuin-Macherez (UMP) : 32,1 %
Jacques Desallangre (app PCF) : 26,2 %
Claire Le Flecher (PS) : 16,2 %
Impossible pour la candidat socialiste d’accéder au second tour : elle n’a pas atteint le seuil de 12,5 % des suffrages des électeurs inscrits. L’apparenté communiste Jacques Desallangre sera donc confronté seul à la candidate UMP, qu’il battra avec 54,6 % des suffrages exprimés.
Treizième circonscription des Bouches-du-Rhône
Alain Aragneau (UMP) : 32,7 %
Michel Vaxes (PCF) : 30,5 %
René Raimondi (PS) : 15,1 %
Aucun problème pour le député sortant communiste qui balaye la concurrence socialiste au premier tour et s’impose contre l’UMP au second tour avec 56 %. Une fois encore le candidat socialiste n’avait pas obtenu suffisamment de voix pour se maintenir.
Deuxième circonscription du Cher
Franck Thomas-Richard (UMP) : 34,5 %
Jean-Claude Sandrier (PCF) : 31,2 %
Marie-Hélène Bodin (PS) : 13,3 %
Une situation en tous points similaire à celle de la 13ème des Bouches-du-Rhône. Jean-Claude Sandrier s’est ensuite imposé au second tour avec 57,4 % des suffrages exprimés.
Première circonscription des Hauts-de-Seine
Véronique Vignon (UMP) : 28,4 %
Roland Muzeau (PCF) : 26,7 %
Philippe Sarre (PS) : 24 %
Ici la concurrence du candidat socialiste est rude, et pourtant, en raison de la très forte abstention, il reste en dessous de la barre des 12,5 % des suffrages des électeurs inscrits conditionnant un éventuel maintiens au second tour. Le PS a donc été éliminé. Roland Muzeau a par la suite écrasé la candidate UMP au second tour avec 63,5 % des suffrages exprimés.
Quatrième circonscription des Hauts-de-Seine
Christian Dupuy (UMP) : 37,4 %
Jacqueline Fraysse (PCF) : 25,5 %
Marie-Laure Meyer (PS) : 14,7 %
A nouveau un score insuffisant pour permettre à la candidate socialiste de prétendre au second tour… Jacqueline Fraysse l’emportera ensuite contre le candidat UMP avec 54,4 % des suffrages exprimés.
Onzième circonscription des Hauts-de-Seine
Jean-Loup Metton (UMP) : 36,3 %
Marie-Hélène Amiable (PCF) : 27,4 %
Catherine Picard (PS) : 22,9 %
Premier cas de figure dans lequel trois candidats remplissent les conditions nécessaires pour accéder au second tour. La discipline républicaine a finalement joué en faveur de la candidate communiste, d’autant que le risque d’une victoire de la droite en cas de triangulaire était bien réel. Marie-Hélène Amiable battra finalement le candidat UMP avec 58,6 % des suffrages exprimés.
Seizième circonscription du Nord
Jean-Jacques Candelier (PCF) : 32,9 %
Michelle Derain (UMP) : 23,8 %
Jeannine Marquaille (PS) : 20,7 %
Avec 11,6 % des suffrages des électeurs inscrits, la candidate socialiste ne peut se maintenir au second tour, laissant le PCF et l’UMP s’affronter dans le cadre d’un duel dont le candidat communiste sortira vainqueur avec 66,1 % des suffrages exprimés.
Vingtième circonscription du Nord
Alain Bocquet (PCF) : 46,5 %
Marie-Thérèse Garcia (UMP) : 21,8 %
Marie-Geneviève Degrandsart (PS) : 9,1 %
Aucun problème pour le député sortant communiste qui balaye la concurrence socialiste au premier tour, et écrase l’UMP au second avec 69,2 % des suffrages exprimés.
Cinquième circonscription du Puy-de-Dôme
André Chassaigne (PCF) : 43,8 %
Anne-Marie Delannoy (UMP) : 29,4 %
Martine Munoz (PS) : 10,7 %
Aucune ambigüité sur la victoire écrasante d’André Chassaigne lors de la « primaire » à gauche du premier tour. Le député sortant communiste obtient même le triple des voix de la candidate socialiste qui lui était opposée. Il sera réélu au second tour en laminant la candidate UMP avec 65,9 % des suffrages exprimés.
Sixième circonscription de la Seine-Maritime
Denis Merville (UMP) : 39,16 %
Jean-Paul Lecoq (PCF) : 16,7 %
Aquilino Morelle (PS) : 16,4 %
Dans cette circonscription, seul le candidat UMP avait réussi à rassembler un nombre de suffrages au moins équivalent à 12,5 % des électeurs inscrits. Dans ce cas de figure, la loi stipule que c’est le candidat arrivé second qui se qualifie pour le second tour (voir ci-dessus). Le communiste Jean-Paul Lecoq a donc put affronter le candidat UMP dans le cadre d’un duel, dont il est sortit vainqueur avec 51,1 % des suffrages exprimés.
Huitième circonscription de la Seine-Maritime
Agathe Cahierre (UMP) : 34,3 %
Daniel Paul (PCF) : 25,2 %
Najwa Confaits (PS) : 17,8 %
Avec plus de 50 % d’abstention dans cette circon
scription, la candidate socialiste était bien entendu dans l’impossibilité de se maintenir. Le communiste Daniel Paul a ensuite battu l’UMP au second tour avec 57,4 % des suffrages exprimés.
Deuxième circonscription de la Seine-Saint-Denis
Patrick Braouezec (PCF) : 32,7 %
Evelyne Nicol (UMP) : 22,6 %
Rose Gomis (PS) : 20,4 %
La candidate socialiste n’ayant remporté que 9,7 % des votes des électeurs inscrits, elle ne peut se maintenir au second tour. Patrick Braouezec sort ensuite vainqueur de son duel avec l’UMP sur un score sans équivoque de 65 %.
Quatrième circonscription de la Seine-Saint-Denis
Thierry Meignen (UMP) : 34,3 %
Marie-George Buf
fet (PCF) : 32,3 %
Marie-Pierre Ramos (PS) : 15,5 %
Enième cas de circonscription dans laquelle le PS ne peut maintenir sa candidate au second tour. Marie-George Buffet, alors secrétaire générale du PCF, sera réélu contre le candidat UMP avec 55,9 % des suffrages exprimés.
Septième circonscription de la Seine-Saint-Denis
Jean-Pierre Brard (app. PCF) : 28,5 %
Mouna Viprey (PS) : 25,4 %
Laurent Vigier (UMP) : 22,2 %
Deuxième cas dans lequel la discipline répu
blicaine s’est appliquée. Le député sortant apparenté communiste Jean-Pierre Brard ayant remporté le plus de voix, sa concurrent socialiste, arrivée deuxième, s’est désisté en sa faveur. Le candidat UMP n’étant pas en mesure de se maintenir au second tour, Jean-Pierre Brard s’est retrouvé seul en lice, obtenant sa réélection avec 100 % des suffrages exprimés.
Onzième circonscription de la Seine-Saint-Denis
François Asensi (PCF) : 33,1 %
Martine Valleton (UMP) : 32,9 %
Christophe Borgel (PS) : 17,2 %
Le candidat socialiste n’a pas remplit les conditions nécessaires à son maintien au second tour (toujours la règle des 12,5 %
des inscrits). François Asensi sera réélu après avoir battu l’UMP avec 56,7 % des suffrages exprimés.
Première circonscription de la Somme
Dans cette circonscription assez particulière, le PCF avait refusé d’apporter son investiture au sortant Maxime Gremetz, qui s’est présenté en tant que dissident contre le candidat officiel du parti. Voici les résultats du premier tour :
Jean-Yves Bourgois (UMP) : 25,8 %
Maxime Gremetz (PCF dissident) : 21,1 %
Farida Andasmas (PS) : 15,7 %
Jean-Claude Renaux (PCF) : 11,6 %
En raison de la très forte abstention, seuls MM. Bourgois et Gremetz ont put se maintenir au second tour. Farida
Andamsas n’avait pas atteint le seuil de 12,5 % des voix des électeurs inscrits pour pouvoir se maintenir. Maxime Gremetz a finalement été réélu avec 59,3 % des suffrages exprimés, après avoir battu non seulement la candidate socialiste, mais aussi le candidat
investit par le PCF.
Quatorzième circonscription du Rhône
Michel Denis (UMP) : 29,9 %
André Gerin (PCF) : 22,5 %
Yves Blein (PS) : 18 %
Ici le candidat socialiste échoue encore à remplir les conditions d’un maintiens au second tour. L’unique député communiste du Rhône, André Gerin, sera ensuite facilement réélu face au candidat UMP avec 53,8 % des suffrages exprimés.
Dixième circonscription du Val-de-Marne
Pierre Grosnat (PCF) : 28,9 %
Philippe Bachschmidt (UMP) : 25,2 %
Jean-Luc Laurent (MRC) : 23,6 %
Les trois candidats pouvaient se maintenir. Ici, la règle du désistement républicain s’est appliquée, et le candidat du MRC soutenu par le PS s’est désisté en faveur du candidat communiste, le mieux placé à gauche. P ierre Grosnat a ensuite défait le candidat UMP au second tour avec 64,7 % des suffrages exprimés.
Bilan
La règle du désistement républicain n’a donc joué que dans trois cas sur dix-huit, dont une seule circonscription dans laquelle le candidat communiste était arrivé premier et le candidat socialiste second.
Partout ailleurs, les candidats communistes n’ont dû leur qualification au second tour qu’à eux-mêmes, après avoir aff ronté de manière systématique la concurrence d’un candidat investit par le PS lors du premier tour. Notons par ailleurs que la discipline républicaine n’a pas joué que dans un seul sens.
Le PCF a ainsi perdu 3 sièges par rapport à 2002, y compris à la suite d’un désistement de ses sortants en faveur d’un candidat socialiste arrivé en tête de la gauche au premier tour.
Ainsi, dans la deuxième circonscription de l’Isère, dans laquelle le sortant communiste Gilbert Biessy ne se représentait pas, la présence de deux candidats communistes concurrents au premier tour a facilité la qualification de la candidate socialiste au second tour.
Dans la quatrième circonscription des Bouches-du-Rhône, le député PCF sortant Frédéric Dutoit a été nettement distancié par le PS et l’UMP au premier tour, et a donc dû se désister en faveur de son concurrent social iste en vue du second tour pour permettre la victoire de la gauche.
Situation identique dans la troisième circonscription de la Seine-Saint-Denis, dans laquelle la sortante communiste Muguette Jacquaint est arrivée en troisième position derrière le PS et l’UMP.
A noter également le désistement du PS dans la septième circonscription de l’Hérault en faveur du député sortant communiste François Liberti, qui sera finalement battu par l’UMP au second tour. Et oui, le désistement républicain n’est pas synonyme de victoire systématique…
Le constat est donc très clair : aucun candidat communiste ne doit sa victoire à un soutien du PS au premier tour, et donc à un supposé partage des circonscriptions. Tous les sortants communistes ont été c onfrontés en 2007 à la concurrence d’un candidat socialiste, la règle du désistement réciproque s’étant appliqué dans des cas aussi bien favorables au PS qu’au PCF, dans le but évident de ne pas abandonner une circonscription à la droite en raison d’une offre de gauche concurrentielle au second tour. Le cas de Jean-Pierre Brard est un peu particulier puisque c’est la seule circonscription dans laquelle un duel PCF/PS aurait été possible, mais là encore il avait préalablement dû faire face à la concurrence socialiste au premier tour pour obtenir de bénéficier de la règle du désistement républicain, et fournit donc la preuve que le PCF est capable de trouver des électeurs sans l’aide du PS.
Et en 2012 ?
En 2012, sauf surprise, il y aura des candid ats du Front de gauche dans toutes les circonscriptions de France métropolitaine.
N’en déplaise à Jérôme Cahuzac, aucun accord ne lie le PS et le Front de gauche, toutes composantes confondues, pour un quelconque partage de circonscriptions. (Ce qui n'est pas le cas des députés EEV ou radicaux qui ne doivent leur élection qu'à un accord électoral où ils sont les candidats communs avec le PS dès le premier tour!).
Le Front de gauche, PG compris, avait en revanche proposé au PS un accord national au PS dans un certain nombre de circonscriptions dans lesquelles plane un risque de second tour FN/UMP.
Rejet de la part des socialistes, qui veulent des accords locaux, ce qui revient généralement à un soutien au candidat socialiste, et surtout un accord de gouvernement, qui contraindrait les futur députés FDG à soutenir un éventuel futur gouvernement socialiste, en votant notamment le budget.
Des conditions évidemment inacceptables, le Front de gauche voulant simplement un accord technique visant à réduire le poids du FN sur la vie politique et assurer la présence de la gauche au second tour dans un maximum de circonscriptions.
Reste à attendre les résultats de ces élections législatives, qui ne manqueront sûrement pas de réserver quelques surprises, notamment dans les circonscriptions perdues en 2002 et 2007 par le PCF et que ce dernier entend bien récupérer, ou encore dans quelques circonscriptions socialistes dans lesquelles des élus locaux de poids ont été investis par le PG.
Texte d'après une contribution de ALAN C sur AGORAVOX